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Le Moyen Âge de Max Weber III
Recherches en sociologie médiévale

par Alexis Fontbonne (CéSor) et Isabelle Kalinowski (UMR Pays germaniques)

Les mardi 21 mars, 9, 16 & 30 mai, 6 & 13 juin 2023
de 9h30 à 12h en visioconférence

| Zoom | ID de réunion : 880 2741 9924 | Code secret : 179379

Le monachisme, idéal-type wébérien ?

Qu’il soit évoqué par Max Weber comme errant ou en couvent, ermite ou vivant en communauté, virtuose charismatique ou agent de l’appareil ecclésiastique, le moine peut être décrit comme figure idéal-typique nouvelle – dans le sens où elle n’est jamais évoquée comme telle par le sociologue – à mettre en relation avec les autres agents spécifiques du religieux que sont le prêtre, le prophète et le magicien1. Plus que ces trois autres figures, le moine fait aussi l’objet d’un comparatisme historique rigoureux et documenté, que ce soit entre des aires de civilisations distinctes (monde latin, église orthodoxe, bouddhisme) ou différentes périodes de l’histoire occidentale allant des monachismes irlandais et bénédictins (Cluny et Cîteaux) jusqu’aux Jésuites.

L’analyse des spécificités de la forme de vie monastique a participé de la construction d’au moins deux notions fondamentales chez Max Weber. C’est dans la critique de la hiérarchie traditionnelle par le moine byzantin Syméon le Nouveau Théologien qu’il trouve une illustration de la concomitance possible entre domination charismatique et domination bureaucratique, lui permettant de dépasser l’approche en terme de succession développée par Sohm. La vie monastique est décrite par Weber comme la forme ancienne la plus avancée de rationalisation de l’existence, la « sortie du monastère » de cette rationalisation systématique de la vie constituant l’un des éléments spécifiques de l’histoire occidentale, auquel est de plus accordé une dimension historique, à travers le rôle des tiers-ordres franciscains. Il est impossible de surestimer la place de ce processus dans la réflexion de Weber sur le capitalisme :

« En effet, à partir du moment où l’ascèse quitta la cellule monastique pour être transposée dans la vie professionnelle et commença à exercer son empire sur la moralité intramondaine, elle contribua à sa manière à construire le puissant cosmos de l’ordre économique moderne, tributaire des conditions techniques et économiques de la production mécanique et machinisée dont les contraintes écrasantes déterminent aujourd’hui le style de vie de tous les individus nés dans ses rouages – et pas seulement de ceux qui exercent directement une activité économique – et le détermineront peut-être jusqu’à ce que le dernier quintal de carburant fossile soit consumé »2.

L’enjeu du séminaire de cette année, consistera donc à la fois à définir ce qu’est l’idéal-type monastique, dans la diversité de ses formes historiques mais aussi à reprendre certains des termes du comparatisme wébérien en mettant à profit le progrès des connaissances dans le monachisme bouddhiste – l’époque de Max Weber étant encore très marquée par l’orientalisme – et les relations entre monachisme et Église dans le monde orthodoxe – la principale source de Max Weber, Karl Holl ayant repris à son compte les arguments situés historiquement de Syméon le Nouveau Théologien. Pour le versant latin, on essaiera d’identifier dans quelle mesure il est possible d’étendre la dynamique de « sortie du monastère » à des périodes historiques plus hautes que celles des franciscains et des jésuites. Faire du monde un monastère, penser l’ordre du monde depuis l’ermitage, furent en effet des logiques structurantes de l’univers social dès le XIe siècle. Cette interrogation sur le rôle des moines réformateurs et de l’érémitisme – lui aussi abordé dans une perspective comparative – s’accompagnera d’une nuance apporté au rôle des moines comme producteurs d’un trésor de Salut dans la fondation de l’institution. C’est durant la période où s’affirme à l’inverse un rejet de l’accumulation mécanique des prières que se constitue un appareil ecclésial institutionnellement autonome précisément de part sa capacité à revendiquer la reconnaissance de la prière sincère contre le caractère objectif, donc exploitable sans médiation ecclésiale par les laïcs, de l’accumulation des prières.

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1 Souligner l’importance du moine dans la pensée de Max Weber ne peut en revanche être présenté comme un nouveauté, pour la période médiévale on peut signaler l’article synthétique d’Otto Gerhard Oexle « Max Weber und das Mönchtum » dans Hartmut Lehmann, Jean Martin Ouédraogo (éd.), Max Webers Religionssoziologie in interkultureller Perspektive, 2003, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, p. 311-333.

2 Max Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme [1904-1905], trad. Isabelle Kalinowski, Paris, Flammarion, 2017, p. 300.

Séances

1. Introduction : le monachisme comme idéal-type chez Max Weber (21 mars 2023)

Lorsque Pierre Bourdieu systématise la sociologie wébérienne des religions, il structure le champ religieux autour de 3 spécialistes, le prêtre, le prophète et le magicien. Si ces trois figures idéal-typique sont effectivement celles que Max Weber isole explicitement comme telles, il apparaît que le moine joue un rôle au moins aussi important à la fois en terme de références et par l’originalité de sa position et de ses formes de vie. C’est l’explicitation de ce qui caractérise le moine par rapport aux 3 autres spécialistes du religieux que l’on propose ici afin de permettre ensuite d’appliquer une réflexivité historique à ces différentes dimensions.

2. La « sortie du monastère » (28 mars 2023)

Cette séance a pour but d’étudier ce qui est à la fois un mouvement historique et un concept explicatif chez Max Weber : la sortie du monastère du monastère de la rationalité monastique. Il s’agira en particulier de voir si, dans sa dimension historique, le processus ne peut pas être remonté dans le temps par rapport à l’hypothèse wébérienne d’un rôle central des tiers ordres et en même temps dédoublé dans sa nature : aux moines qui franchissent les murs pour faire du monde un monastère s’ajoute la construction du monde social depuis l’ermitage.

3. Le charisme monastique dans le monde orthodoxe (16 mai 2023)

Les références au monde byzantin ne sont pas les plus fréquentes dans l’œuvre de Max Weber et sont aujourd’hui pour partie dépassée, comme c’est par exemple le cas de l’association entre iconoclasme et Islam. Cependant c’est bien dans l’étude des spécificités du monachisme byzantin, par l’intermédiaire de Karl Holl que Max Weber a trouvé le moyen d’élever la domination charismatique au rang de concept général dépassant la critique protestante du catholicisme. L’actualisation des connaissances historiques sur les relations entre le monachisme, l’épiscopat et le pouvoir impérial constitue donc un cas idéal de mise en pratique d’une sociologie médiévale réflexive.

Intervenant : Vincent Déroche (Professeur à Sorbonne Université, Directeur du Centre d’Histoire et Civilisation de Byzance)

4. Le « moine qui erre de par le monde », porteur idéologique du bouddhisme (30 mai 2023)

Le bouddhisme ancien apparaît à Max Weber comme la forme la plus avancée d’éthique rationnelle de détachement du monde. Autre grande sphère civilisationnelle depuis laquelle s’est développée un monachisme multiforme – des errants à la théocratie – l’aire bouddhique apparaît idéal pour une approche comparée. Cependant, il est au préalable nécessaire de mesurer la distance qui sépare la connaissance de cet univers à l’époque de Max Weber et à la nôtre.

Intervenant : Vincent Eltschinger (Directeur d’étude à l’EPHE, chaire d’histoire du bouddhisme indien)

5. Les moines et la bureaucratie pontificale (6 juin 2023)

Weber identifie parmi les caractéristiques du moine le fait de constituer un agent idéal – du fait de son détachement à l’égard du monde – des transformations accomplies par une institution. Dans l’Europe médiévale, certaines configurations historiques font apparaître un lien manifeste entre monachisme et bureaucratisation. C’est le cas en particulier lorsque la curie pontificale s’appuie sur le modèle et les ressources clunisiennes ou encore dans la volonté d’Innocent III – antérieure à la formation des ordres mendiants – de voir l’ordre cistercien transformé en agents spécifiques de la politique pontificale.

Intervenant : Alexis Grélois (Maître de conférence à l’Université de Rouen-Normandie)

6. Les ermites en Occident et au Japon (13 juin 2023)

La pratique érémitique – qui peut correspondre à l’étape d’un parcours où à une forme de vie spécifique – constitue un des cas limites du monachisme : d’une part elle manifeste de la manière la plus pure l’éthique du retrait du monde et de l’action sur soi caractéristiques du monachisme, d’autre part, elle contient la possibilité de l’action prophétique qui permet à ceux qui se séparent du monde de produire des normes pour ce monde. Par l’étude de l’anachorétisme dans les espaces latins, grecs et japonais, il s’agit d’identifier des logiques communes ou au contraire de montrer que le caractère de « prophète en suspension » constitue une caractéristique du christianisme.

Intervenante : Carina Roth (Chargée de cours à l’Université de Genève)