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Christian SOMMER

Affiliation : Directeur de recherche CNRS

Équipe : Archives Husserl

Champs de recherche : Anthropologie philosophique et phénoménologie au XXe siècle

Présentation de la recherche

I. Heidegger : philosophie, théologie, politique

Dans le prolongement de nos recherches sur les sources aristotéliciennes et néotestamentaires de Sein und Zeit (Heidegger, Aristote, Luther, PUF, 2005), nous avons exploré la dimension éthique, rhétorique et psychagogique de l’analytique existentiale (1919-1929), recherches exposées dans une série d’articles publiés entre 2005 et 2012. Nous avons présenté les résultats de nos investigations sur Heidegger II (1933-1945), commencées en 2008, dans Mythologie de l’événement. Heidegger avec Hölderlin (PUF, 2017), terminant ainsi un long cycle de recherches sur ce sujet. Pour problématiser la réactualisation théologico-politique du mythe par Heidegger, notre étude s’est concentrée sur les cours consacrés à Hölderlin, tout en sollicitant l’intégralité du corpus des années 1933-1945, c’est-à-dire les cours fribourgeois (GA 29/30 à GA 55), les traités inédits rédigés dans le sillage des Beiträge (GA 65 à 73) et les Schwarze Hefte de cette période (GA 94 à 97). Ces travaux critiques sur Heidegger s’inscrivent dans l’Axe de recherche 4 (« Histoire de la phénoménologie allemande et française ») et 6 (Anthropologie, philosophie politique et éthologie) des Archives Husserl.

II. Anthropologie philosophique et phénoménologie au XXe siècle : problèmes, débats, contextes

L’un des objectifs de notre travail sur le corpus de l’anthropologie philosophique, mis en chantier depuis notre recrutement aux Archives Husserl (2010), est de contribuer à ouvrir un espace de réception et de discussion pour l’anthropologie philosophique allemande en France (Scheler, Plessner, Gehlen, Blumenberg…). La constellation de l’anthropologie philosophique permet d’éclairer une séquence importante de la pensée allemande au XXe siècle, singulièrement dans son lien, fécond et conflictuel à la fois, avec la phénoménologie d’origine husserlienne en ses filiations tant orthodoxes qu’hétérodoxes.
Si l’anthropologie philosophique a impliqué plus ou moins directement non seulement la phénoménologie, ou plutôt les phénoménologies, mais aussi la plupart des courants et écoles philosophiques en Allemagne au vingtième siècle (philosophies de la vie, philosophies de l’existence, écoles de Francfort, philosophies herméneutiques, néo-aristotélismes), il convient également de voir que certains problèmes et thèmes du vaste débat autour de l’anthropologie philosophique sont présents sous d’autres formes dans le contexte français de la deuxième moitié du vingtième siècle, surtout dans les années cinquante et soixante (Sartre, Merleau-Ponty, Canguilhem, Foucault, mais aussi Levinas ou Derrida) et au-delà, notamment dans la génération théorique de la « nouvelle phénoménologie française ».
Depuis quelques années, on peut constater qu’un espace de travail autour de ces questions a émergé au sein des Archives Husserl, et qui réunit étudiants, doctorants (ED 540 ENS/PSL), postdoctorants et chercheurs internationaux. Nos recherches engagées ou poursuivies dans ce domaine depuis 2010 s’inscrivent dans l’Axe de recherche 4 (« Histoire de la phénoménologie allemande et française ») et 6 (Anthropologie, philosophie politique et éthologie) des Archives Husserl.

a. Les textes fondamentaux de l’anthropologie philosophique (Scheler, Plessner, Gehlen).

Scheler fait aujourd’hui l’objet d’un regain d’intérêt, notamment dans le prolongement du débat autour d’un supposé « tournant théologique » de la phénoménologie française, mais aussi et surtout dans le domaine de l’anthropologie philosophique. Dans ce contexte, nous préparons une nouvelle traduction de La position de l’homme dans l’univers, basée sur la nouvelle édition historico-critique parue chez Meiner (2018). Au cours de ces dernières années, nous avons poursuivi nos recherches sur Plessner, figure également trop peu étudiée en France. Après avoir interrogé sa métaphysique du vivant dans son contexte d’émergence (1925-1930), nous nous sommes intéressés au débat entre C. Schmitt (La notion de politique) et Plessner (Macht und menschliche Natur) et la question d’une anthropologie du politique. Plus récemment, nous avons questionné les présupposés bio-métaphysiques de l’anthropologie plessnerienne de la verticalité bipède en situant celle-ci dans le cadre anthropocentrique de la Rift Valley Theory d’A. Kortlandt. Nous préparons par ailleurs une édition de Plessner, Sensibilité et musique.
Toujours dans le cadre de notre programme, nous avons achevé la traduction, commencée en 2011, de Gehlen, L’Homme. Sa nature et sa position dans le monde (Gallimard, 2021), autre texte fondateur de l’anthropologie philosophique allemande. Ce travail a été la base pour plusieurs activités et séminaires, organisés aux Archives Husserl, autour de cette figure quasi absente dans l’espace hexagonal et francophone, alors que son œuvre a fait l’objet de nombreux débats et discussions critiques en République fédérale avec des interlocuteurs divers (Adorno, Arendt, Lukacs, Tugendhat, Lübbe, Blumenberg, Marquard, Schelsky, Luhmann, Luckner, Claessens, Habermas, Apel, Joas, Honneth…). La philosophie gehlenienne des institutions (Urmensch und Spätkultur, 1956) et sa théorie du totémisme s’inscrit en outre dans un dialogue, qui reste à reconstituer, avec Durkheim, Lévy-Bruhl, Mauss et Lévi-Strauss. Nous avons consacré en 2022 plusieurs séances de notre séminaire collectif « Anthropologie et philosophie après 1945 » (org. avec Fl. Burgat et J.-Cl . Monod) à Gehlen et à son anthropologie philosophique de la préhistoire et de l’imagination paléolithique, en interprétant la description gehlenienne des techniques de l’extase et de l’ascèse (Urmensch, § 44) à la lumière des techniques du corps (Mauss) ou techniques de soi (Foucault).

b. Le « tournant anthropologique » de la phénoménologie : Blumenberg et au-delà

Blumenberg concentre sous une forme complexe et multilatérale certains enjeux décisifs de notre champ de recherche. Pour examiner la possibilité d’une « réhabilitation phénoménologique de l’anthropologie » par-delà Husserl et Heidegger, nous étudions la perspective de Blumenberg, notamment son projet d’une « anthropologie phénoménologique » esquissée dans les années 1970-1980 dans ses textes posthumes Beschreibung des Menschen (2006) et Zu den Sachen und zurück (2002). Dans le sillage d’un hypothétique « tournant anthropologique » de la phénoménologie, nous avons examiné la lecture blumenbergienne de Gehlen, encore peu explorée. Ces recherches entendent expliciter et contextualiser la perspective blumenbergienne d’un « déplacement du centre de gravité de la métaphysique ou de l’ontologie vers l’anthropologie » formulée à titre programmatique dans le dernier ouvrage publié de son vivant en 1989 (Höhlenausgänge), déplacement que Blumenberg suggère de conceptualiser en opérant un retour complexe à Husserl et Heidegger, tout en relisant précisément, sur un mode critique et phénoménologique, l’anthropologie philosophique de Gehlen. Cette opération implique l’analyse de certaines sources indiquées ou non par Blumenberg lui-même (Darwin, Alsberg, Bilz, Freud, Ferenczi, Jonas, Leroi-Gourhan, Lévi-Strauss…). Dans le cadre de notre séminaire collectif « Anthropologie et philosophie après 1945 (II) », nous nous sommes intéressés en 2023 à la description phénoménologique des processus élémentaires de la conscience à l’œuvre dans les récits anthropogénétiques de Blumenberg (Beschreibung des Menschen, Arbeit am Mythos) élaborés à partir de l’hypothèse paléoanthropologique de la savane (Darwin) comme « scène primitive » (Freud). Ce paradigme anthropologique blumenbergien, mis en évidence à partir de ses sources théoriques et paléoanthropologiques, permet alors d’envisager une confrontation critique avec des paradigmes de type multinaturaliste ou multiperpectiviste (Descola, Viveiros de Castro).

c. Humanisme, antihumanisme, posthumanisme – anthropologie philosophique de la technique

Toujours dans le cadre de nos recherches portant sur « Anthropologie philosophique et phénoménologie au vingtième siècle », nous avons exploré une vaste constellation historique qui s’indique à travers les trois termes : humanisme – antihumanisme – posthumanisme. Cette exploration comprend l’identification, au fil conducteur de la « question de l’homme », de plusieurs massifs à travers l’étude de certains débats et controverses qui ont rythmé le siècle dernier, de la Controverse de Davos (1929, Heidegger et Cassirer) à la Polémique d’Elmau autour de la biopolitique et des anthropotechniques (2000, Sloterdijk et Habermas, 1990 Derrida et Habermas) en passant par la Querelle parisienne de l’humanisme et de l’antihumanisme (1946-1968, Merleau-Ponty, Sartre, Foucault, Derrida, Deleuze, Althusser, Canguilhem, Lacan…), pour aboutir jusqu’aux débats plus récents autour du « posthumanisme » et de la transformation ou du dépassement critique de la « question de l’homme ». A partir de cette constellation, il nous paraît alors possible de solliciter l’anthropologie philosophique (Alsberg, Plessner, Gehlen, mais aussi Blumenberg, Leroi-Gourhan, Anders) et certains de ses théorèmes majeurs (« positionnalité excentrique », « artificialité naturelle », « auto-technicité », « suspension organique »…) pour problématiser les phénomènes et questions biotechnologiques du « posthumanisme ».

d. Schopenhauer

Au-delà de la direction d’une nouvelle traduction et de l’établissement d’une édition génétique du Monde comme volonté et représentation (Gallimard, 2009), qui faisait suite à la retraduction des Deux problèmes fondamentaux de l’éthique (Gallimard, 2009), l’un des aspects de notre travail sur Schopenhauer concerne directement nos recherches sur les rapports entre anthropologie philosophique et phénoménologie. Nous avons dégagé quelques pistes de recherche sur l’usage de Schopenhauer en phénoménologie, notamment chez Blumenberg. Dans une perspective anthropologique, Schopenhauer apparaît comme l’un des premiers philosophes à avoir anticipé la doctrine de l’Umwelt d’Uexküll, si importante par la suite pour la problématique générale de l’anthropologie philosophique, de Scheler à Blumenberg. Mais c’est surtout par sa doctrine du corps comme « objectivation de la volonté de vivre », que Schopenhauer peut être considéré comme l’un des inspirateurs de l’anthropologie philosophique, surtout d’Alsberg mais aussi de Gehlen, lequel a explicitement situé Schopenhauer à la source d’une « révolution anthropologique ».

Mots clé : Heidegger – Scheler – Plessner – Gehlen – Blumenberg – Schopenhauer – anthropologie philosophique – phénoménologie – théologie politique – posthumanisme – philosophie de la préhistoire – philosophie de la technique – multinaturalisme – techniques de soi

Choix de publications

Ouvrages :

Heidegger, Aristote, Luther. Les sources aristotéliciennes et néo-testamentaires d’Être et Temps, Paris, PUF, coll. « Epiméthée », 2005, 335 p.

Mythologie de l’événement. Heidegger avec Hölderlin, Paris, PUF, coll. « Epiméthée », 2017, 250 p.

A. Schopenhauer, Le monde comme volonté et représentation, édition, traduction, annotation, en coll. avec V. Stanek et M. Dautrey, t. 1 et 2, Paris, Gallimard, « folio essais », 2009, 2350 p.

A. Gehlen, L’Homme. Sa nature et sa position dans le monde, traduction et présentation, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de philosophie », 2020, 595 p.

Nouvelles phénoménologies en France, collectif (dir.), Paris, Hermann, 2014.

Articles :

« L’inquiétude de la vie facticielle. Le tournant aristotélicien de Heidegger (1921/22) », in Les études philosophiques, 76 (2006/1), p. 1-29.

« Métaphysique du vivant. Note sur la différence zoo-anthropologique de Plessner à Heidegger », in Philosophie, n° 116 (hiver 2012), p. 48-77.

« La question du corps vivant (Leib) chez Heidegger, des Zollikoner Seminare à Sein und Zeit et retour », in Alter. Revue de phénoménologie, 21/2013, p. 205-220.

« Les métaphores de l’humain. L’anthropologie de Hans Blumenberg » (avec E. Bimbenet), in Le Débat, dossier « Penser l’homme », mai-août 2014, p. 89-97.

« Schopenhauer : Edition und Rezeption in Frankreich », in Schopenhauer-Jahrbuch, 95 (2014), p. 177-182.

« Description du Dasein. Remarques sur la possibilité d’une lecture anthropologique de Sein und Zeit à partir de Blumenberg », in Alter. Revue de phénoménologie, 23 (2015), p. 63-73.

« Umweltintentionalität. De Merleau-Ponty à Plessner via Buytendijk », in Fl. Burgat et C. Sommer (éd.), Le phénomène du vivant. Buytendijk et l’anthropologie philosophique, Genève, MetisPress, 2016, p. 93-109.

« Approches du vivant entre anthropologie et phénoménologie », in Th. Ebke et C. Zanfi (éd.), Généalogies franco-allemandes entre anthropologie et anti-humanisme, Potsdam, Universitätsverlag, 2017, p. 59-76

« Fall of Dasein. Heidegger reading Luther 1924-1927 », in Kronos, vol. VI (2017), p. 58-64.

« Théologie et/ou anthropologie politique de l’”ennemi” (de Schmitt à Plessner) », in Bollettino Filosofico, vol. XXXIV (2019), p. 240-249.