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Anne SAADA

Affiliation : Chargée de recherche au CNRS – UMR 8547 Pays Germaniques

Équipe : Transferts culturels

Champs de recherche : Lumières et Aufklärung ; Transferts culturels franco-allemands au XVIIIe siècle ; Études de réception ; Périodiques savants en France et en Allemagne ; Les universités allemandes : Göttingen au XVIIIe siècle ; Histoire des bibliothèques ; Histoire socio-culturelle du Saint-Empire

Présentation de la recherche

Mes travaux portent sur l’Allemagne du XVIIIe siècle ainsi que sur les circulations littéraires franco-allemandes à l’âge des Lumières abordées sous un angle historique. Le goût pour une approche historique m’a fait bifurquer de l’étude de la philosophie (maîtrise, Université de Nanterre) vers un DEA puis une thèse d’histoire (EHESS). L’étude des textes m’a menée à la question de leur réception : quels sont les facteurs qui conditionnent la réception d’un texte ? Comment expliquer qu’un même ouvrage engendre à deux périodes différentes des réactions opposées ?

Ces interrogations sont au cœur de ma thèse sur la réception de Diderot en Allemagne au XVIIIe siècle. Pour ce travail, j’ai bénéficié de financements à la Mission Historique Française en Allemagne et au Max-Planck Institut pour l’histoire de Göttingen (Basse Saxe), ville qui abritait l’université et la bibliothèque européenne les plus importantes du XVIIIe siècle. Les sources mobilisées pour ce travail sont : des catalogues bibliothèques privées, des périodiques, des histoires littéraires, des dictionnaires. Ce repérage à l’aide des outils bio-bibliographiques du XVIIIe siècle a permis d’identifier que les œuvres de Diderot avaient circulé dans deux espaces distincts: l’espace savant et l’espace théâtral. Le terme d’espace désigne ici un milieu spécialisé obéissant à des lois spécifiques définies par des textes normatifs et des pratiques. Le recours à cet outil a permis d’inscrire dans une continuité et dans une logique plus vaste la façon dont les œuvres de Diderot ont été accueillies en Allemagne : au lieu de prendre la réception de Diderot comme une donnée, il s’agissait d’expliquer comment celle-ci avait été possible. La notion d’espace a ainsi mis en évidence que la valeur accordée aux œuvres de Diderot provient davantage du fonctionnement des espaces qui leur ont donné sens que de la lettre des textes eux-mêmes.

Ce long séjour en Allemagne dans une bibliothèque d’exception m’a permis de me familiariser avec les périodiques français et allemands — champ de recherche auquel j’ai consacré un certain nombre de travaux — mais surtout, de découvrir des archives d’une richesse extraordinaire : celles de la bibliothèque et de l’université de Göttingen.

L’université de Göttingen, fondée dans l’électorat du Hanovre au début des années 1730, constitue l’une des institutions académiques les plus importantes d’Allemagne du XVIIIe siècle. Au moment de sa création, il existait plus d’une trentaine d’universités dont certaines étaient très renommées. La particularité de Göttingen est d’être parvenue à s’imposer en quelques années sur ses rivales, ce qui se mesure d’abord au degré de fréquentation de l’université par les étudiants. En très peu de temps, Göttingen a conquis une place de choix parmi les universités allemandes et l’a conservée tout au long du XVIIIe siècle et pendant une longue partie du XIXe.

Comment comprendre cette ascension fulgurante ? La catégorie « Aufklärung » a été communément avancée jusqu’à présent pour expliquer à la fois la naissance de l’université et son succès. Renoncer à cette explication toute faite et a priori, c’est partir à la rencontre du terrain historique : le Saint-Empire, sa répartition spécifique du pouvoir entre échelles impériale et territoriale, ses électorats — notamment l’électorat du Hanovre qui vient lui-même de naître —, ses 300 principautés de taille et d’importance très diverses, ses multiples hiérarchies, ses capitales, ses règles de fonctionnement formulées dans le droit d’Empire et qui comptent autant d’exceptions, etc.

Qu’est-ce que le Saint-Empire ? Cette question est aussi déconcertante que celle à laquelle Kant répondit en 1784, Was ist Aufklärung ? La réponse à la première question exige de celui qui désire sortir de sa « minorité » concernant l’Empire une attitude analogue à celle prescrite par le grand philosophe : qu’il mette en œuvre le « sapere aude » kantien c’est-à-dire qu’il abandonne ses préjugés à l’égard d’un système dont on se débarrasse trop souvent sous prétexte qu’il serait trop compliqué. Car c’est bien en replaçant la naissance de l’université de Göttingen dans les jeux de pouvoir du Saint-Empire que le mystère de son ascension s’éclaircit, bien mieux qu’en invoquant l’Aufklärung.

Cette étude de cas, bien que centrée sur l’université de Göttingen, donne de nombreuses clés pour analyser l’histoire des institutions universitaires en général et, qui plus est, hier comme aujourd’hui. Les parallèles entre les stratégies déployées par les responsables de l’université de Göttingen au XVIIIe siècles et celles mises en place actuellement au nom de l’excellence ne manqueront pas de surprendre (y compris les conséquences sur le corps enseignant).

Mots clé : Aufklärung — Lumières — Göttingen — Hanovre — universités — bibliothèques — revues — académie — archives — Saint-Empire — histoire sociale – électorat — ministre — Gerlach Adolph von Münchhausen — Christian Gottlob Heyne — Johann Stephan Pütter — Albrecht von Haller — Diderot — Crébillon — Bachaumont

Choix de publications

Ouvrages :

  • Inventer Diderot : les constructions d’un auteur en Allemagne au XVIIIe siècle, Paris, CNRS Editions, collection « De l’Allemagne », 2003 ;
  • Avec Hans Erich Bödeker (dir.), La bibliothèque comme archive. Les bibliothèques et l’histoire de la culture et des sciences / Bibliothek als Archiv. Bibliotheken, Kultur- und Wissenschaftsgeschichte, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht (Veröffentlichungen des Max-Planck-Instituts für Geschichte, 221), 2007
  • Avec Maria-Pia Donato, Pratiques d’archives à l’époque moderne — Europe, mondes coloniaux, Paris, Garnier, 2019

Articles :

  • Avec Sébastien Schick, « Le ministre des Lumières et l’expertise. Fonctions, pratiques et usages de la figure de l’‘expert’ par Gerlach Adolph von Münchhausen (1730-1760), dans Marion Brétéché, Héloïse Hermand (dir), Parole d’experts. Une histoire sociale du politique (Europe, XVIe-XVIIIe siècle), Rennes, Presses Universitaires, 2021, p. 157-178
  • Avec Martin Mulsow, « Münchhausen und die Gründung der Göttinger Universität. Eine Geschichte in Briefen », dans Karsten Engel (dir.), Wissenschaft in Korrespondenzen. Göttinger Wissensgeschichte in Briefen, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2019, p. 39-56
  • « L’espace universitaire, acteur de la construction du Saint-Empire », Bretschneider, F, Duhamelle, C (éd.), Le Saint-Empire. Histoire sociale (XVIe-XVIIIe siècle), Paris, Editions de la Maison des sciences de l’homme, (collection « bibliothèque allemande ») 2018, p. 167-182
  • « La pratique de la correspondance de Christian Gottlob Heyne : annoter, administrer, archiver » dans Jean Boutier, Emmanuelle Chapron (dir.), Utiliser, archiver, éditer. Usages savants de la correspondance en Europe (XVIIe-XVIIIe siècles), Bibliothèque de l’Ecole des Chartes, t. 171, n° 1, 2013, Librairie Droz, Genève, 2017, p. 131-152
  • « Göttingen : d’où vient l’université allemande ? », L’Histoire, n°439, sept. 2017, p. 64-68
  • « Économie institutionnelle : consommation et production culturelles à la bibliothèque universitaire de Göttingen au XVIIIe siècle », in : Vincent Millot, Philippe Minard, Michel Porret (dir.), La Grande Chevauchée. Faire de l’histoire avec Daniel Roche, Genève, Droz, 2011, p. 395-413
  • « Assurer l’excellence d’une communauté universitaire au XVIIIe siècle : l’exemple de Göttingen au 18e siècle », in : Dix-Huitième Siècle, 1, 2009 (n°41), p. 302-318 ;
  • Avec Jean Sgard, « Tremblements dans la presse », Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, 2005, n°2, p. 208-224 ;
  • « L’espace allemand observé à partir de la réception de Diderot », Histoire, Économie et Société, 1, 2004, p. 81-95
  • « L’accueil de Crébillon fils en Allemagne au XVIIIe siècle », Revue de Littérature Comparée, 3, 2002, p. 343-354 ;