Chercheurs impliqués : Michel Bitbol, Emmanuel de Saint Aubert, Dorothée Legrand
Le dernier axe de recherche conjoint deux versants respectivement consacrés à la phénoménologie française et à une réélaboration des problèmes posés par la description des états de conscience.
La phénoménologie française continue de se situer au centre les travaux des Archives. Tout d’abord Merleau-Ponty, sous la houlette d’Emmanuel de Saint Aubert, dont les travaux publiés proposent une lecture génétique transversale de l’œuvre du philosophe à la lumière d’une connaissance d’ensemble de ses inédits, et renouvellent l’interprétation des rapports de Merleau-Ponty avec la philosophie, la neurologie, la psychologie du développement, la psychanalyse, et la littérature ; ce travail a suscité la transcription et datation du fonds inédit de Merleau-Ponty, la numérisation de son œuvre publiée, et la constitution d’un corpus électronique d’ensemble incluant les inédits et dotée d’outils logiciels d’exploitation. Levinas étant introducteur de l’œuvre de Husserl et Heidegger en France dès les années 1930 et n’ayant jamais interrompu son dialogue avec leur œuvre (tout en élargissant sa pensée à la tradition hébraïque), des recherches sur Levinas sont menées aux Archives Husserl, qui portent sur sa lecture de la tradition phénoménologique et juive ainsi que sur sa pensée propre ; chaque année est organisé par Danielle Cohen-Levinas le séminaire de recherche Lectures lévinassiennes : une autre voie phénoménologique, qui invite des spécialistes confirmés de Levinas et de jeunes chercheurs en cours de doctorat et a conféré en une décennie un essor aux études lévinassiennes en suscitant des mémoires de Master, des thèses, ainsi que des publications sous forme d’articles, d’essais ou d’ouvrages. Ricœur et Derrida enfin : un séminaire annuel a été consacré en 2012/13 par Jean-Claude Monod et Marc de Launay à la pensée de Ricœur, tandis que D. Pradelle a publié dans la revue Philosophie (Éditions de Minuit) un important numéro thématique entièrement consacré à Ricœur, qui reprend une partie du colloque international de 2015 dont une journée s’était déroulée à l’École Normale Supérieure sous l’égide des Archives ; quant à Derrida, Marc Crépon lui a consacré à l’automne 2015 un grand colloque international qui réunissait un grand nombre de chercheurs derridiens, qui sera suivi d’un colloque consacré à la pensée de Jean-Luc Nancy.
La recherche de Dorothée Legrand se situe à la croisée de la philosophie et de la psychopathologie, de la phénoménologie et de la psychanalyse, cherchant à analyser la structure du corps du sujet parlant, en tant que matière du mode d’être-au-monde-avec-autrui. Elle coordonne des séminaires annuels consacrés à des notions psychanalytiques comme celles de rencontre clinique (élaborée chez Freud et Lacan, puis reconceptualisée à partir des réflexions de Merleau-Ponty et Levinas sur le rapport à l’autre en situation de souffrance psychique) et d’inconscient, telle qu’elle est réélaborée dans la tradition phénoménologique .
Le dernier versant, coordonné par Michel Bitbol, Natalie Depraz et Claire Petit-Mengin, concerne la micro-phénoménologie, c’es-à-dire la description des états de conscience grâce à l’explicitation en première personne des expériences vécues propres ; il s’agit d’une réhabilitation de l’ancienne méthode introspective qui, par interaction dialogique, vise à effectuer une réduction au vécu pur en en émondant toutes les surinterprétations ; elle consiste en entretiens d’explicitation visant à approcher au plus près une expérience vécue par une série de procédures (se concentrer sur une expérience particulière en écartant les représentations générales, répéter par la mémoire cette expérience, stabiliser son attention, se concentrer sur le comment au détriment du pourquoi. Outre qu’ils trouvent un pendant thématique dans les travaux de Natalie Depraz sur les émotions et la surprise, ces travaux s’inscrivent dans une réflexion menée, dans le sillage de Francisco Varela, à la croisée de la phénoménologie et des neurosciences par Natalie Depraz et Michel Bitbol ; du fait de son intérêt pour la neurophénoménologie, ce dernier a étudié le contexte de naissance de cette discipline dans l’œuvre de Varela, dont il codirige l’édition et la traduction d’un recueil des travaux : Le cercle créateur. Écrits 1976-2001 (Seuil, 2017, à paraître), qui trace un chemin dans sa pensée depuis les débuts cybernétiques jusqu’à la neurophénoménologie en passant par l’énaction, l’immunologie et l’éthique.
Ces travaux montrent la fécondité des approches hétérodoxes et interdisciplinaires qui ouvrent un dialogue entre phénoménologie et sciences.