Chercheurs impliqués : Michel Bitbol, Julien Farges, Dominique Pradelle, Mark van Atten
Le premier axe de recherche est lié au sens qui a présidé à la fondation du laboratoire : étudier de manière approfondie les œuvres de Husserl, ainsi que leur descendance immédiate dans la phénoménologie de langue allemande (Heidegger, mais aussi Adolf Reinach, Edith Stein et le courant de la phénoménologie réaliste). Nous poursuivons l’effort de recherche consacré à l’élucidation de la pensée de Husserl (l’édition complète des Husserliana s’étant récemment enrichie de plusieurs volumes importants qui donnent lieu à des séminaires de recherche et de traduction réguliers animés par N. Depraz, F. de Gandt, J. Farges, L. Perreau, D. Pradelle et C. Serban) et de Heidegger (l’édition complète chez Klostermann s’étant également enrichie de plusieurs volumes, dont les Schwarze Hefte des années trente et quarante, qui permettent d’établir une connexion entre les thèses philosophiques et les positions politiques et antithéologiques de Heidegger, et la traduction française de ses œuvres ayant adopté un rythme plus soutenu).
Trois séminaires réguliers sont situés à la pointe de la recherche actuelle en phénoménologie. 1) Un séminaire annuel (coordonné par D. Pradelle et Claudia Serban) est consacré depuis 2014 aux C-Manuskripte sur le temps (Husserliana Materialien VIII), qui contiennent l’ensemble des réflexions des années trente sur la temporalité, mais aussi sur les phénomènes limite de la naissance, du sommeil et de la mort, qui conduisent la phénoménologie à ses confins ; un groupe de chercheurs husserliens (outre les organisateurs, F. de Gandt, J. Farges, V. Gérard, M. Gyemant et C. Lobo) mène un travail de traduction qui aboutira à une publication aux PUF, dans la collection Épiméthée. 2) Un séminaire annuel (coordonné par J. Farges, Laurent Perreau et D. Pradelle), intitulé Actualité de la recherche phénoménologique, permet à des chercheurs confirmés de présenter au public des publications récentes et marquantes dans le champ phénoménologique – études sur les grands auteurs de la tradition phénoménologique (Husserl, Heidegger, Scheler, etc.), ouvrages ayant réélaboré une question phénoménologique importante (le réalisme, la phénoménologie des mathématiques et de la physique, l’atmosphère, le monde social, etc.). 3) Un séminaire annuel coordonné par Natalie Depraz et Maria Gyemant est consacré aux Studien zur Struktur des Bewußtseins de Husserl (de publication imminente dans les Husserliana), qui offrent d’intéressants aperçus sur les structures concrètes de la conscience et conduisent la phénoménologie assez loin dans sa tâche descriptive ; il donnera lieu à la publication, chez Vrin, du volume Phénoménologie des sentiments.
Sur le versant husserlien, J. Farges analyse la pensée ultime de Husserl, qui tend vers un positivisme transcendantal incorporant à la phénoménologie des considérations évolutionnistes, pose l’identité de l’ego transcendantal et du moi mondain, et accorde un statut originaire à des domaines jadis considérés comme des corrélats de la conscience ; il met en perspective la phénoménologie avec le néokantisme (montrant l’écart qui sépare la fondation husserlienne des sciences de l’esprit et la modalité herméneutique de Dilthey, le formalisme de Windelband et Rickert), les grands représentants de l’idéalisme (Kant, Fichte et Schopenhauer) et d’autres conceptions de la phénoménologie issues de l’école de Brentano, en particulier Carl Stumpf. Sur le versant heideggérien, C. Sommer a noué une collaboration étroite avec Sophie-Jan Arrien (Université Laval de Québec) centrée sur les Beiträge zur Philosophie, livre central de Heidegger écrit à la fin des années trente mais non publié de son vivant, où Heidegger prend une nouvelle orientation.
Cet axe est marqué par un ensemble de travaux en théorie phénoménologique de la connaissance scientifique. Après avoir mis l’accent sur la dimension antikantienne et anti-anthropologiste de Husserl (Par-delà la révolution copernicienne, 2012), puis déployé une interrogation sur l’historicité qui, partant du constat des ruptures épistémologiques dans l’histoire des sciences, conduit vers le motif heideggérien du déploiement autonome des mutations d’horizon de sens et de style de la rationalité (Généalogie de la raison, 2013), D. Pradelle oriente ses recherches sur la phénoménologie des mathématiques : dans le sillage de Desanti et M. Caveing, il interroge les notions d’intuition et d’évidence pour les soustraire au paradigme de la perception sensible (Intuition et idéalités, 2020), puis celles de constitution transcendantale des idéalités et d’idéalisme constitutif (Être et genèse des idéalités, 2023). Également en philosophie des mathématiques, Mark van Atten approfondit le rapport entre l’intuitionnisme de Brouwer et la phénoménologie de Husserl (On Brouwer, 2004 ; Brouwer meets Husserl, 2007), ainsi que la pensée philosophique de Gödel et sa réception de Leibniz, Brouwer et Husserl (Essays on Gödel’s Reception of Leibniz, Husserl, and Brouwer, 2015). Michel Bitbol centre sa recherche sur les problèmes posés par le réalisme antihusserlien (il mène une discussion approfondie des positions de Q. Meillassoux dans Maintenant la finitude, 2019) et à l’interprétation phénoménologique de la physique quantique, notamment à ce que l’on appelle bayésianisme quantique (Q-Bism).