A partir du second XVIIIe siècle la littérature tout autant que la langue sont considérées comme déterminations fondamentales des nations modernes, qu’il s’agisse de valider la composante nationale d’un État constitué ou de poser les fondements de la construction nationale avant l’instauration d’un État spécifique. Le principe de validation de la nation moderne, qui serait définie par une histoire et un ancrage national spécifiques, implique une conception autarcique de la culture nationale. Les discours nationalistes qui se présentent communément sous les auspices de l’objectivité scientifique mettent en avant l’altérité radicale entre les nations, ce qui aboutit à privilégier la diachronie nationale sur la synchronie. Mais la réflexion sur la définition de la langue et de la littérature nationale, à partir de la fin du XVIIIe siècles, a été menée systématiquement dans un cadre transnational, attesté par les correspondances littéraires ou les exhortations à l’imitation de modèles étrangers.
Ce type de recherche, qui constitue un des domaines d’investigation privilégiés d’Anne-Marie Thiesse, a en outre donné lieu à des recherches notamment sur les articulations entre le formalisme russe et l’histoire littéraire allemande du XIXe.
Les transferts culturels dans le domaine littéraire sont souvent confrontés à la notion de postcolonialisme. Pascale Rabault Feuerhahn a consacré un ouvrage collectif à l’éclairage de l’arrière-plan théorique du postcolonialisme. Théories intercontinentales. Voyages du comparatisme postcolonial, éd. par Pascale Rabault-Feuerhahn, Paris, Demopolis, 2014.
Nous avons également abordé l’histoire littéraire à partir de notions en particulier celle de Mimésis. N°22-2015 de la Revue germanique iternationale. Mandana Covindassamy qui a rejoint notre unité au début du contrat actuel a consacré un volume collectif à cette notion sous l’angle de ses perspectives allemandes
Inscrite au cœur de la pensée esthétique occidentale, l’histoire de la mimesis est en effet faite de métamorphoses. Au cours de sa circulation dans les langues européennes, ce concept s’est vu doter de significations sans cesse renouvelées. Elles se sont superposées à la manière d’un palimpseste. Dans le domaine allemand, la mimesis est débattue plus tard qu’en Italie ou en France, de sorte que la discussion porte au moins autant sur la notion grecque que sur son héritage européen. Les articles réunis dans le volume donnent un aperçu de sa fécondité à différentes époques et éclairent les enjeux qui se cristallisent autour de la notion de mimesis dans l’espace germanophone.
Perspectives
Mandana Covindassamy doit poursuivre son enquête sur les grands moments de la théorie littéraire en Allemagne durant le prochain contrat. Elle se penchera également sur la cosntitution d’une notion de Weltliteratur et les modalités de l’introduction de la littérature persane dans le champ germanique au moment où ce dernier revendique sa légitimité littéraire sur la scène européenne et mondiale.
Charlotte Morel mettra l’accent sur les imbrications entre pensée philosophique et expression littéraire sur le modèle de son travail de thèse sur Lessing ou de recherches ponctuelles déjà consacrées à Friedrich Schlegel à Dorothea Schlegel et à la famille Mendelssohn.
Anne-Marie Thiesse poursuivra ses investigations sur le rapport entre littérature et nation en étudiant ses transformations à l’âge du numérique et de la mondialisation. L’étude portera sur la réactivation sur la scène internationale des enjeux nationalistes du littéraire (attributions et conséquences des Prix Nobel de littérature, enjeux d’acquisition des manuscrits d’œuvres nationales, soutien institutionnel public à la littérature nationale, redéfinition des programmes scolaires, etc.) mais aussi sur la mise en question de la pertinence du rapport littérature/nation et la constitution de nouveaux réseaux transnationaux qui sont lieux explicites de transferts (UNESCO Cities of Literature, Word Alliance comme fédération mondiale de festivals de littérature).
Lessing – Humboldt – Heine – Walser
L’équipe a poursuivi durant le contrat antérieur l’étude d’un certain nombre d’auteurs allemands tels que Lessing auquel une monographie a été consacrée (M. Espagne) et surtout Humboldt qui sont directement liés à un contexte transnational ce dont les histoires purement nationales de la littérature ne rendent que très partiellement compte. Heine est toujours pris comme un point d’entrée dans une vie intellectuelle franco-allemand du premier XIXe siècle où d’autres auteurs comme Pückler-Muskau par exemple ont été étudiés pour l’éclairage qu’ils apportent à Heine lui-même. Heinrich Heine et son contexte restent une référence des travaux consacrés dans l’UMR à la litérature du XIXe siècle comme le montre la participation d’associés à des volumes comme Fürst Pückler und Frankreich. Ein bedeutendes Kapitel des deutsch-französischen Kulturtransferts (M.A. Maillet (éd.) (Berlin 2012) ou Heine à Paris. Témoin de la vie culturelle français (éd. M.A.Maillet et N Waszek) (editions de l’éclat 2014)
Les travaux sur Lessing, qui a introduit l’Islam et le judaïsme dans l’horizon de la littérature et de la théologie allemandes, se poursuivront également.
Un projet d’étude sur les frères Humboldt a été développé en partenariat avec l’Ecole française d’Athènes, la TU Berlin et l’UMS République des lettres à l’intérieur du labex TransferS. La postérité des Humboldt recouvre l’histoire transnationale des sciences humaines, de l’anthropologie à la géographie en passant par les sciences de l’Antiquité ou la linguistique. Un colloque sur Alexander von Humboldt et la France a donné lieu à un livre aux éditions de l’Académie de Berlin, un autre colloque sur l’hellénisme de Wilhelm von Humboldt, à l’Ecole française d’Athènes a permis la rédaction d’un livre (sous presse) sur l’hellénisme de Wilhelm von Humboldt. Il faut signaler en outre une exposition sur les frères Humboldt à l’Observatoire avec son catalogue (commissaire Bénédicte Savoy) et un colloque à la fondation Singer Polignac sur la Sociabilité européenne des frères Humboldt (actes publiés aux éditions Rue d’Ulm).
Quatre ouvrages ont été publiés sur les frères Humboldt dans le cadre de l’UMR durant le contrat qui s’achève :
- David Blankenstein, Bénédicte Savoy (éds.), Les frères Humboldt, l’Europe de l’esprit, Paris de Monza (catalogue d’exposition) , 2014
- David Blankenstein, Ulrike Leitner, Ulrich Päßler und Bénédicte Savoy, « Mein zweites Vaterland ». Alexander von Humboldt und Frankreich, De Gruyter, Berlin, 2015
- Michel Espagne (éd.), La sociabilité européenne des frères Humboldt, Paris, Editions Rue d’Ulm, 2016
- Michel Espagne et Sandrine Maufroy (eds), L’hellénisme de Wilhelm von Humboldt et ses prolongements européens. Demopolis, Paris 2016
S’engager dans une étude de l’histoire littéraire transnationale c’est nécessairement ouvrir le chapitre des traductions. Il s’agit d’un questionnement commun aux deux équipes de l’UMR.
Perspectives
Dans le domaine de la littérature contemporaine la thèse sur W.G. Sebald de Mandana Covindassamy qui a été publiée en 2014 indique en même temps l’orientation d’une recherche qui vise à croiser cartographie et analyse littéraire. Dans le prolongement de ce questionnement, une étude des rapports entre Goethe, Humboldt et la cartographie est prévue pour le prochain contrat. Parmi les auteurs récents sur lesquels des recherches sont en cours il convient de signaler également Robert Walser qui a donné lieu à un colloque à l’ENS coorganisé avec le Robert-Walser Zentrum (Berne) et doit faire l’objet d’une publication collective au cours du prochain contrat.