Pierre-Jean RENAUDIE
Affiliation : Université Lyon 3 – Jean Moulin
Équipe : Archives Husserl
Champs de recherche : phénoménologies allemande et française, philosophie de l’esprit, philosophie de la littérature
Mots-clé : Husserl, Sartre, subjectivité et altérité, identité personnelle, connaissance de soi, théories du récit
Présentation de la recherche
Après une thèse de doctorat consacrée aux rapports entre langage, pensée et perception dans la phénoménologie de Husserl, mes recherches se sont étendues à l’ensemble de la tradition phénoménologique (allemande et française) et ses intersections possibles avec les questions soulevées depuis une cinquantaine d’année par la philosophie analytique de l’esprit.
Ces travaux de recherche se sont développés selon deux grands axes : d’un côté, une étude historique des limites des formes de description de l’expérience proposées par la tradition phénoménologique, et de l’autre, une approche phénoménologique et critique de la question classique de la connaissance de soi et de ses réinterprétations dans la philosophie de l’esprit contemporaine.
1/ Dans le sillage des résultats auxquels avaient abouti mes recherches initiales sur la théorie phénoménologique de la connaissance de Husserl, mes travaux se sont d’abord attachés à mettre en évidence les limites de la méthode phénoménologique de description de l’expérience – moins pour en contester la légitimité, que pour en cerner au contraire avec précision l’étendue et en déterminer les enjeux et la pertinence. Cette démarche se veut celle d’une critique interne plutôt qu’externe de la phénoménologie, qui doit tirer parti des ressources fournies par les premiers travaux de Husserl pour interroger et mettre à l’épreuve l’extension de la méthode phénoménologique dont se sont prévalu ses représentants depuis la seconde moitié du 20ème siècle.
Mes travaux les plus récents dans ce domaine ont cherché à mettre en évidence la tension sur laquelle repose le projet d’une philosophie phénoménologique dès sa formulation initiale chez Husserl. La phénoménologie se veut en effet une description de l’expérience vécue susceptible d’en faire apparaitre les structures intentionnelles. Mais en arrachant l’intentionnalité au cadre d’analyse psychologique dans lequel elle avait vu le jour avec Brentano, Husserl lui donne pour modèle la théorie de la signification qu’il met en place dans la 1ère Recherche Logique, laquelle servira de guide pour élucider les modalités de rapport aux objets que l’expérience recouvre. Cela signifie que la description de l’expérience qui constitue le cœur de la méthode phénoménologique est d’abord et avant tout une description du sens de l’expérience reposant sur une analyse des structures de la signification et une théorie générale des modes de production du sens. A partir de cette analyse, j’ai essayé de déterminer précisément la mesure dans laquelle cet aspect de la méthode descriptive de la phénoménologie la rapproche de la perspective herméneutique, que Heidegger et ses successeurs déploieront dans le sillage et sur la base des analyses de Husserl. Mes travaux dans ce domaine font apparaitre les tensions que génèrent la réinterprétation en termes herméneutiques de la méthode phénoménologique, qui ne permet d’en clarifier les enjeux qu’au prix d’un certain nombre de déplacements, visibles aussi bien dans les transformations imposées par Husserl lui-même à son approche initiale que dans les réinterprétations heideggériennes et post-heideggériennes de la phénoménologie.
2/ Cette première étape de mes travaux de recherche a ainsi permis d’aborder la tradition phénoménologique de façon originale, en la tenant non plus pour une méthode philosophique générale devant refonder l’ensemble de la connaissance ou du discours philosophique, mais comme un outil essentiellement critique, dont la valeur se mesure à sa capacité à faire apparaitre les différences fines que l’expérience en première personne impose à l’analyse philosophique. L’intérêt de l’approche phénoménologique, dans ce contexte, est de fournir des ressources particulièrement riches et fécondes pour aborder de façon critique les conditions de production du sens, et interroger les différentes formes d’expérience humaines en élargissant sur un mode critique les cadres théoriques à l’intérieur desquels se construit l’analyse philosophique. Je me suis efforcé de mettre en œuvre cet usage critique des ressources descriptives de la phénoménologie dans un ensemble de travaux consacrés au retour de la question de la connaissance de soi dans la philosophie de l’esprit contemporaine, et mettant en particulier en question le type d’autorité revendiquée par le sujet relativement à la connaissance de ses propres états mentaux.
Mes travaux dans ce domaine ont cherché à montrer que l’approche phénoménologique permet d’évacuer un certain nombre de faux-problèmes et de reformuler les questions sur lesquelles ont reposé un grand nombre de débats en philosophie de l’esprit dans les cinquante dernières années, en les articulant de façon plus nuancée et plus finement problématisée. La philosophie de la conscience de Sartre est à cet égard exemplaire, faisant apparaître les difficultés fondamentales que soulève la question même de la connaissance de soi, ainsi que cela n’a pas échappé à un certain nombre d’auteurs issus de la tradition analytique, comme Richard Moran ou Charles Larmore. L’analyse des tensions sur lesquelles repose les approches phénoménologiques – sartrienne ou husserlienne – de la question du sujet permet ainsi de faire apparaitre les difficultés et les paradoxes que génèrent les différents types de discours sur l’identité personnelle, et d’approfondir le questionnement issu de la philosophie de l’esprit sur l’autorité que l’on doit reconnaitre au sujet dans la connaissance de soi. La philosophie de la littérature constitue un champ d’application privilégié pour mettre en question la légitimité des formes autobiographiques du récit de soi, en l’interrogeant à la lumière des rapports complexes et problématique entre l’auteur et ses personnages.
Mots clé : Husserl, Sartre, subjectivité et altérité, identité personnelle, connaissance de soi, théories du récit
Choix de publications
Ouvrages :
P.-J. Renaudie, Husserl et les catégories. Langage, pensée et perception. Paris, Vrin, 2015, 256 p. (ISBN 978-2-7116-2635-9)
D. Pradelle, P.-J. Renaudie (éds.), Sens, intentionnalité, antipsychologisme, Hildesheim, Olms Verlag (coll. Europaea Memoria), 2022, 231 p. (ISBN : 978-3-487-42324-1)
P.-J. Renaudie, C. V. Spaak (éds.), Phénoménologies de la matière, Paris, Éditions du CNRS, 2021, 359 p. (ISBN : 978-2-271-09433-9)
Articles :
« Existentialism and Analytic Philosophy », in Bloomsbury Companion to Existentialism (ed. F. Joseph, J. Reynolds, A. Woodward), 2nd edition, London, Bloomsbury, 2023, pp. 273-289
« Échec et succès du récit de soi chez Sartre », Dois Pontos, 2023, vol. 20, n°1, pp. 83-100 (numéro spécial : « A fenomenologia francesa atual »)
« Peculiar access. Sartre, Self-knowledge and the question of the irreducibility of the first-person perspective » (avec Jack Reynolds), dans T. Morag (éd.), Sartre and Analytic Philosophy, London, Routledge, 2023, pp. 89-108
« Intolérable altérité. L’intolérance transcendantale de l’Ego selon Husserl », in Les Etudes Philosophiques, 2022 (4), n° 143, pp. 39-65
« Jean-Paul Sartre », Stanford Encyclopedia of Philosophy (en collaboration avec J. Reynolds), ed. E. N. Zalta, Stanford University, 2022 ; https://plato.stanford.edu/entries/sartre/
« Psychology, theory of knowledge, and phenomenology of meaning Husserl’s Logical Investigations », dans H. Jacobs (éd.), The Husserlian Mind, London, Routledge, 2022, pp. 7-21
« The history of the phenomenological movement », dans B. Hopkins, C. Majolino, De Santis (éds.), The Routledge Handbook of Phenomenology and Phenomenological Philosophy, London, Routledge, 2020, pp. 11-36
« La critique des fondements de la psychologie et le modèle sémantique », dans D. Pradelle, J. Farges (éds): Husserl: phénoménologie et fondements des sciences, Paris, Hermann, 2019, pp. 365-386
« L’ambiguïté littéraire de la troisième personne. Théorie du roman et philosophie de l’esprit chez Jean-Paul Sartre », in Revue philosophique de Louvain, numéro spécial « La phénoménologie et ses personnes », 2017, 115 (2), pp. 269-287
« Le sol et la clé de voûte de la phénoménologie. L’usage phénoménologique des catégories chez Husserl et Heidegger », Les études Philosophiques, 2017 (3), pp.331-349
« Dire et penser je : la vacuité de la présence à soi du sujet de Husserl à Derrida », Discipline Filosofiche XXV, 1 (« Figures, Functions and Critique of Subjectivity »), 2016, pp. 69-92
« A pebble at the bottom of the water. Sartre and Cavell on the opacity of self-knowledge», dans G. Preyer, S. Miguens, Cl. Morando (éds.), Prereflective Consciousness, Sartre and Contemporary Philosophy of Mind, Routledge, 2015, pp. 208-224
« Intentio et Adaequatio : Heidegger lecteur de Husserl », Revue de Métaphysique et de Morale, 2015 (3), p. 329-352
« Me, Myself and I. Sartre and Husserl on Elusiveness of the Self », Continental Philosophy Review, 2013, vol.46 (1), pp. 99-113