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Axe 3 • Lieux de transferts culturels

Les transferts culturels s’inscrivent dans une dimension spatiale, dans une géographie, voire dans une cartographie. Certains lieux s’avèrent plus propices que d’autres aux imbrications entre les cultures. L’équipe en poursuit la description lorsque l’espace germanique est directement concerné.

Allemagne

Dans le passé, une attention particulière avait été accordée à la Saxe comme lieu interculturel caractéristique pour le domaine germanique. Dans la durée la collaboration a notamment pris la forme d’une série « Transfer-arrivant en 2022 à son 30e volume ». Dans le cadre de ses travaux sur l’anthropologie philosophique allemande, Charlotte Morel a encore développé un projet autour de la vie académique de Leipzig sous l’angle des rapports entre la faculté de médecine et la faculté de philosophie. Débats épistémologiques entre mécanisme et vitalisme (Johannes Müller), émergence de la psycho-physique (Gustav Fechner) et de la psychologie scientifique (Wilhelm Wundt) sont en effet difficiles à comprendre en profondeur sans en revenir à l’interaction concrète de ces deux disciplines. Si les médecins et physiologues se forment parfois aussi près des philosophes (Johannes Müller), l’inverse est également vrai (Hermann Lotze). L’œuvre de de ce dernier, de même que celle de Fechner, sont des exemples des cas, plus fréquents qu’on ne le croit, qui amènent des médecins à se positionner explicitement dans le champ philosophique. Mais quel visage exact a le milieu médical dans lequel tous se sont formés ? Notamment, quelles sont les positions épistémologiques dominantes du corps professoral de l’université de médecine à diverses périodes? Dans quelles mesures proviennent-elles, ou se développent-elles au contraire de façon indépendante des débats philosophiques de l’époque – et enfin influent-elles sur eux en retour ? La position dominante de Leipzig dans la formation médicale au XVIIIe et XIXe siècle, alors qu’elle est aussi un lieu de formation philosophique reconnu, offre un terrain d’études particulièrement précieux pour reconstruire ces échanges directs ou indirects.

Un grand chantier est actuellement en cours autour de l’Université de Göttingen (à laquelle avait été consacré dès 2010 un ouvrage Göttingen vers 1800) et plus particulièrement de sa bibliothèque, cœur de l’Université. Le bibliothécaire de l’Université à la fin du XVIIIe siècle, à une époque où Göttingen est le théâtre d’une naissance des sciences humaines et de l’histoire culturelle, était Friedrich Gottlob Heyne. Il a fait de la bibliothèque de Göttingen une des premières d’Europe en se procurant toutes les publications scientifiques de France, d’Angleterre ou d’Italie et en nourrissant de la sorte les essais de rédaction d’histoires universelles.

Une partie du chantier ouvert par Anne Saada a donné lieu à un ouvrage co-dirigé avec l’historienne italienne Maria Pia Donato et intitulé Pratiques d’archives à l’époque moderne (Paris, Garnier 2019). Comment crée-t-on des archives à l’époque moderne ? Quel était le public de ces archives ? À quelles fins les utilisait-on et comment ? Telles sont les questions posées dans ce volume. Un examen attentif des archives révèle quelles portent trace des contingences matérielles, des opérations intellectuelles, des visions du monde, voire des conflits dans lesquels elles ont été produites. Les pratiques d’archives constituent un observatoire privilégié pour scruter – et déconstruire – la fabrique des archives. Tel est le fil rouge qui relie les articles rassemblés ici autour des thèmes de l’écriture de l’histoire, de l’appropriation sociale du passé et de la place des archives.

Perspectives

Il s’agira d’abord de conduire à leur terme les entreprises engagées autour de Göttingen et Leipzig. L’histoire de la bibliothèque de Göttingen, engagée au sein de l’équipe par Anne Saada, doit permettre de comprendre le fonctionnement du métabolisme savant qui, à partir d’importation de livres, de leur recension dans des organes spécialisés, aboutit à la constitution de nouvelles sciences. L’histoire de l’Université de Göttingen à partir de sa bibliothèque, et donc à partir d’une approche en termes d’histoire du livre, doit donner lieu à la rédaction d’une importante monographie, en fait un manuscrit d’habilitation (Anne Saada). Il est clair que Göttingen sert de modèle d’approche des universités de l’espace germanique au XVIIIe siècle.

Le réseau académique qui s’est développé autour de Göttingen au début des années 1730 est un sujet qui offre de multiples possibilités. Après avoir travaillé dans une perspective d’histoire des savoirs sur les diverses institutions qui composent ce réseau et en signent l’originalité — une université (1734), une bibliothèque (1734), un journal savant (1739), une académie des sciences (1751) —, Anne Saada souhaiterait à présent compléter ce travail en le doublant d’une dimension d’histoire sociale : il s’agirait tout simplement de revenir vers la fonction première d’une université, à savoir, qualifier pour offrir une insertion professionnelle. La recherche sur l’université de Göttingen souffre de l’ombre portée par l’université berlinoise (1810) qui a donné lieu à ce qu’on a appelé le modèle universitaire humboldtien, modèle auquel est associé le lien entre enseignement et recherche et la mise en avant de la faculté de philosophie. D’où les efforts démesurés déployés par l’historiographie sur Göttingen pour montrer que c’est elle, l’université hanovrienne, qui constitue l’ancêtre du modèle berlinois, aspect souvent rapidement évacué par les recherches sur l’université prussienne. La volonté de montrer que l’université hanovrienne a servi de modèle à l’université berlinoise se traduit dans l’historiographie par la mise en avant des avancées scientifiques qui ont eu lieu à Göttingen au moyen du lien entre université et Académie des sciences d’une part et, d’autre part, par la mise en évidence de la place nouvelle occupée par la faculté de philosophie à Göttingen dans la hiérarchie des facultés.

Si ces choix sont justifiés, il ne faut cependant pas oublier le contexte dans lequel l’université est née, la façon dont elle s’est développée, la mission qui lui a été assignée et qui s’est traduite jusqu’à la fin de l’Empire par la fréquentation de l’université. C’est en effet la faculté de droit qui a attiré le nombre d’étudiants le plus important au XVIIIe siècle et qui a fait la renommée de l’université (plus de 70% des étudiant·e·s étaient inscrit·e·s dans la faculté de droit).

Aussi, Anne Saada souhaiterait se pencher davantage sur cette faculté de droit et, notamment, sur le droit d’Empire. L’université de Göttingen est particulièrement intéressante pour analyser, au travers des étudiants qui l’ont fréquentée, comment le droit d’Empire a pu jouer un rôle aussi important dans un moment où les institutions de l’Empire étaient en train de s’affaiblir.

L’objectif de ces recherches sur Göttingen est double : à distance d’une vision imprégnée de téléologie qui conçoit l’histoire de Göttingen à l’aune du modèle humboldtien, il s’agira de restituer son historicité à l’institution de Göttingen. L’histoire de cette dernière en effet est souvent réduite à la réalisation dans l’histoire d’un programme qui aurait été fixé dans les années 1730 : la réussite de l’institution serait inscrite dans ses gênes. Or, Anne Saada souhaiterait remettre au cœur de l’histoire de Göttingen non pas la réussite, mais les nombreux échecs que l’institution a essuyés — à commencer par le recrutement des professeurs — et qui ont obligé l’équipe de ses fondateurs à réorienter constamment le projet, soit à l’adapter aux obstacles auxquels elle se heurtait.

Du point de vue d’une histoire des transferts, il s’agira non pas d’étudier les transferts à l’échelle internationale, mais à l’intérieur du Saint-Empire lui-même. Le Saint-Empire est souvent considéré comme un agrégat de territoires indépendants les uns des autres. A travers l’exemple de Göttingen, on montrera à l’inverse la circulation entre les territoires, aussi bien en ce qui concerne les savoirs que les hommes, grâce à ce jeu d’échelles spécifique du Saint-Empire et qui fait intervenir l’échelle territoriale d’un côté et celle de l’Empire de l’autre.

Russie

Grâce à un partenariat ancien avec l’Académie des sciences de Russie et l’Université des sciences humaines de Moscou, l’équipe a poursuivi dans les années 2010 une recherche sur les transferts culturels germano-russes et sur les transferts triangulaires franco-germano-russes autour de 1900. Par exemple, cela concerne l’étude, dans les représentations de la culture populaire du XIXe siècle en Allemagne (frères Grimm, psychologues philologues), des sources d’inspiration d’une science russe qui va progressivement développer une conception formaliste des sciences humaines, et un comparatisme sui generis. (L’Ambre et le fossile. Transferts germano-russes dans les sciences humaines, Armand Colin, Paris 2014). Cette recherche s’est progressivement orientée vers les périphéries de l’Empire russe, d’abord l’Asie centrale sur laquelle un livre collectif a été publié : Transferts culturels le long de la route de la soie est paru en 2016. Puis nous avons abordé le Caucase avec La montagne des langues et des peuples: Imbrications et transferts dans l’espace du Caucase 2019 (dir. Michel Espagne, Hamlet Isaxanli et Shahin Mustafayev).

Mosaïque de nations d’une exceptionnelle diversité linguistique, sociopolitique ou religieuse, l’espace du Caucase exige d’être abordé dans la très longue durée, du point de vue des imbrications enregistrées au fil du temps. Envahie par les Grecs, les Romains, les Byzantins, par des Mongols turcisés, hésitant longtemps entre christianisme, islam et bouddhisme, intégrée de force dans le monde russe, la région n’a cessé de combiner les strates culturelles. Déjà, la soixantaine de langues parlées dans ces montagnes et l’hypothèse d’un substrat préhistorique a fasciné des générations de savants. Mais encore : le Caucase a hanté l’imaginaire littéraire russe, de Lermontov à Pouchkine ou Griboïcdov. Ses propres poètes comme le Géorgien Roustavéli ou l’Azerbaïdjanais de langue persane Nizami sont eux-mêmes au confluent de plusieurs littératures. Enfin, une histoire transculturelle du Caucase implique de revisiter ces lieux de mémoires croisées que sont les très cosmopolites Bakou ou Tbilissi. Si le Caucase est un terrain privilégié pour aborder les questions de transferts culturels notre attention s’est plus particulièrement porté esur la place de linguistes, et voyageurs et explorateurs allemands de la région.

En dehors du Caucase nous avons également porté notre attention sur la Sibérie comme champ de transferts culturels avec l’ouvrage La Sibérie comme champ de transferts culturels. De l’Altaï à la Iakoutie (Michel Espagne, Pavel Alexeiev et Ekaterina Dmitrieva (dir.), Paris Demopolis, 2018). Entre le monde russe auquel il appartient et les mondes chinois ou mongol qui le bordent l’espace sibérien, espace immense dont l’Altaï constitue une des régions aux traditions les plus riches, est un trait d’union entre l’Europe et l’Asie mais aussi un véritable conservatoire de langues, de religions, d’ethnies dont les relations, qui concernent l’histoire locale mais aussi celle de l’Eurasie dans la longue durée sont encore insuffisamment explorées.

Les phénomènes de réinterprétation, de resémantisation, liés au passage d’objets culturels d’un contexte culturel ou national à un autre, passages dans l’espace et passages dans le temps, peuvent constituer un fil directeur dans l’approche de ce territoire. Ces transferts diachroniques ou synchroniques sont d’ordre linguistique, ils concernent aussi l’histoire des cultures mises en contact, ils s’analysent à partir de la littérature, de l’expression artistique, de l’anthropologie, des traditions religieuses et obligent à solliciter nombre de disciplines pour comprendre un phénomène de recomposition permanente des identités à partir de la circulation des objets culturels. Dans ce livre encore une attention particulière est portée aux explorations allemandes de la Sibérie ou aux recherches des disciples de Boas sur les langues et cultures de la Sibérie.

Perspectives

Un livre est en préparation dans le cadre du prochain contrat sur la biographie intellectuelle du principal germaniste russe du premier XXe siècle, Jirmounski. Il s’agit d’un des principaux germanistes russes du XXe siècle. Né en 1891, il a fait ses études de philologie germanique à l’Université de Saint-Pétersbourg entre 1908 et 1913. En 1912-1913 Jirmounski poursuit sa formation par un séjour en Allemagne, dont il revient avec son premier travail de germaniste, un petit livre très important sur le romantisme allemand et la mystique contemporaine. D’abord privatdocent à Leningrad, il devient en 1917 professeur à Saratov, y travaille à une thèse d’habilitation sur les conversions religieuses dans l’histoire du romantisme mais rentre assez vite à Leningrad où il devient en 1919 professeur de philologie allemande et de littérature d’Europe occidentale. A travers un livre sur Jirmounski que qui sera écrit en collaboration avec Ekaterina Dmitrieva, de l’Institut de littérature mondiale de Russie, on peut envisager une histoire de la germanistique russe au XXe siècle.

Grèce

Autre lieu privilégié des transferts, la Grèce a fait l’objet d’enquêtes sur l’apport de son histoire à la compréhension des transferts culturels.

Le philhellénisme, manifestation franco-allemande de soutien à la Grèce a eu comme conséquence principale la construction d’une identité nationale grecque à partir de références françaises, allemandes, allemandes ou russes croisées. Il y a eu surtout une réinterprétation franco-allemande du passé grec antique auquel les Hellènes devaient se conformer. La fondation de l’Université d’Athènes mais aussi les débuts de la littérature grecque ne peuvent s’expliquer sans prise en compte d’une forte circulation internationale de savoirs et biens culturels. En collaboration avec l’École française d’Athènes ont eu lieu dans les années 2010 plusieurs colloques sur la construction de la Grèce par les philologues français et allemands. Un ouvrage sur les imbrications culturelles dans l’histoire d’Izmir a été publié en 2017 en anglais et en turc. Le terme de transfert s’y décline ainsi de toutes les manières, de celui des marchandises qui y passent – de l’encens perse acheminé par Sardes au coton ottoman exporté jusqu’à Marseille – à celui des populations brutalement déplacées à la suite d’invasions, de tremblements de terre, d’épidémies qui ont émaillé l’histoire de la ville. Le dynamisme des études récentes permet de jeter un regard nouveau sur ce terrain privilégié de l’étude des transferts culturels que constituent les différentes Smyrne successives – l’ancienne Smyrne ionienne mise au jour dans la première moitié du XXe siècle à Bayraklı, lieu fondateur de la nouvelle archéologie turque à l’époque d’Ekrem Akurgal formé à l’université de Berlin et publiant en allemand ses travaux sur l’antiquité gréco-anatolienne.

Plus récemment Servanne Jollivet a publié un ouvrage sur l’épopée du Mataroa, passage d’intellectuels Grecs en France, en particulier Axelos, Castoriadis, Papaioannou dont Servanne Jollivet est spécialiste et qui incarnent tous trois une médiation grecque entre la France et l’Allemagne : S. Jollivet, (éd.), Le voyage du Mataroa. Du mythe à l’histoire, Athènes, École française d’Athènes, 2020.

Perspectives

A moyen terme l’exemple grec restera un champ d’étude pour l’équipe. Signalons tout particulièrement pour les années à venir un projet dirigé par Servanne Jollivet « Transferts entre la Grèce et l’Allemagne (XVIIIe-XXe siècles). Identités et imaginaires croisés de l’hellénisme ». Il s’agira d’étudier les échanges et transferts entre la Grèce et l’Allemagne au cours des XIXe et XXe siècles. Le rapport à l’Antiquité constitue sans conteste le principal pivot autour duquel s’orchestrent ces différents transferts, à la fois du côté grec, qui y puise une source de légitimation et du côté européen, à travers la référence à la Grèce ancienne comme commune matrice. Dans le cas allemand, la référence à l’hellénisme antique est en effet part intégrante de la construction de l’imaginaire allemand, étayé par un vaste réseau intellectuel et le développement conjoint des études classiques, philologiques et archéologiques. Soutenu notamment par les mouvements philhellènes, dès la fondation de l’Etat grec et jusqu’aux années trente, ces transferts se développent en effet de manière intensive, alimentant également non sans ambivalence des mouvements de réaction, orientalistes ou mishellènes. Inversement, l’influence de la pensée allemande s’avère tout aussi incontournable pour repenser les enjeux liés à la construction identitaire grecque. Dès les débuts de la construction du nouvel état, l’identité néohellénique n’a en effet cessé d’être pensée au miroir de modèles allemands, profondément marquée par le philhellénisme et l’idéalisme afférent à la Grèce ancienne. L’un des enjeux sera ici de questionner les modèles et paradigmes venus d’Allemagne, notamment le rôle prégnant du paradigme néo-classique, qui sous-tendent la réflexion identitaire en Grèce aux XIXe-XXe siècle. L’intérêt de ce projet est ce faisant de mesurer la portée de cette réappropriation mutuelle telle qu’elle continue d’imprégner profondément, de part et d’autre, « l’imaginaire » grec et allemand, comme en témoignent les rapports de force, discours et les rhétoriques identitaires actuels, particulièrement exacerbés en contexte de crise.

De la Chine au Vietnam

L’EUR Translitteræ dont l’équipe transferts de l’UMR 8547 est porteuse vise à étendre une approche méthodologique des transferts culturels au-delà du cadre de départ franco-allemand, sans jamais l’abandonner. Des relations étroites ont été notamment nouées avec l’université chinoise de Fudan où une première rencontre a été organisée en décembre 2015 tandis qu’une seconde a été organisée à Paris en janvier 2017. La thématique consistait à appliquer aux relations sino-européennes le modèle propre à l’historiographie allemande de la Begriffsgeschichte de Koselleck.

On a longtemps considéré que la traduction aboutissait à une déperdition du sens des textes ou des concepts qui structurent la réflexion historique dans les sciences humaines. Depuis plusieurs années déjà on s’accorde plutôt à penser que le déplacement des textes et des concepts peut aboutir à un accroissement de leur sens Ce déplacement est observable à l’intérieur de l’ensemble européen lui-même. Geist a un autre sens qu’esprit ou mind. Des termes comme ceux de bourgeoisie, de liberté, de nation, de démocratie, de droit, d’État revêtent des valeurs très différentes selon le contexte dans lequel ils sont employés. La circulation des textes utilisant ces termes doit donc être analysée non comme une simple traduction mais comme une recréation. L’usage de Montesquieu ou de Rousseau n’a pas été le même en France et en Allemagne. Le libéralisme de Tocqueville a connu un destin tout aussi bizarre en Chine que la référence structuraliste au maoïsme en France.

Ces déplacements ne caractérisent pas moins l’arsenal des termes qui permettent d’élaborer une histoire littéraire, donnant à des notions comme réalisme, naturalisme des valeurs profondément hétérogènes selon les cadres dans lesquels elles sont employées que le vocabulaire de l’histoire de l’art où baroque, classicisme recouvrent des valeurs différentes. Pourrait-on comparer un Hegel chinois à un Hegel français ? Imaginer une lecture française du Hegel chinois et inversement ? Un livre est sorti de ces rencontres : Chine France-Europe-Asie. Itinéraires de concepts (Paris 2018). Signalons également la publication récente d’un troisième tome des Conférences chinoises de la rue d’Ulm (Paris 2022)

Perspectives

Un des aspects de la coopération avec la Chine est la formation de doctorant·e·s dont plusieurs sont proches de l’achèvement de leur thèse :

  • CHEN Yawen, thèse sur l’internationalisme de Jaurès. Il s’agit d’une application de la Begriffsgeschichte à l’histoire intellectuelle en France autour de 1900 ;
  • QI Yue, thèse sur l’écrivain chinois francophone, diplomate aux ambassades de Berlin et Paris à la fin du XIXe siècle Chen Jitong. Il s’agit d’un travail sur une paradoxale francophonie chinoise au XIXe siècle ;
  • WANG Jing, thèse sur la diaspora asiatique dans le XIIIe arrondissement parisien ;
  • XU Ye, thèse sur le nervosisme des écrivains français de la fin du XIXe et la décadence, vues en lien avec la pensée de Max Nordau sur la notion de Entartung ;
  • YANG Liting, thèse sur le terme de couleur « qing » en chinois classique.

Vietnam

Avec l’École normale supérieure de Hanoï ont été engagés au cours des années 2010 des liens de coopérations sur la question des transferts culturels. Un point de départ avait été la biographie intellectuelle de Tran Duc Thao, normalien et philosophe des années 1930 qui fut l’un des introducteurs paradoxaux de la philosophie de Husserl en France avant de retourner au Vietnam. Plusieurs livres ont pu paraître sur les imbrications intellectuelles entre le Vietnam et la France. Citons en particulier Hanoi-Paris. Un nouvel espace des sciences humaines (Paris, Kimé 2020, 1000 p.)
Cet ouvrage est destiné à faire prendre conscience au lecteur français d’un socle commun qui pourrait éventuellement servir à donner un nouvel élan franco-asiatique aux sciences humaines et sociales. Aussi bien en France qu’au Vietnam les sciences humaines et sociales sont confrontées à des mutations qui touchent de nombreux domaines, de l’histoire sociale à la philosophie en passant par la linguistique, l’esthétique ou l’anthropologie ou les études littéraires. On ne peut aborder ces mutations dans un seul cadre national. Pourquoi ne pas tenter alors d’en parler dans un cadre franco-vietnamien ? Celui-ci présente l’intérêt de reposer sur un siècle d’histoire commune, partagée, imbriquée, traversée par des guerres mais aussi par des aspirations communes. Que va apporter à des chercheurs et enseignants français la manière de concevoir l’esthétique, l’humanisme, l’histoire des religions ou l’histoire culturelle dans un pays comme le Vietnam ? Que signifie faire de la philosophie ou de la linguistique ou de l’histoire littéraire ou penser la pédagogie à Hanoï ? Et inversement dans quelle mesure les théories contemporaines qui servent de référence en France ont-elles un intérêt dans le contexte d’une Université vietnamienne visiblement soucieuse d’accélérer, elle aussi, les transformations de ses perspectives et de ses méthodes ? Quelles clés un regard asiatique est-il susceptible de livrer pour une compréhension plus subtile de l’histoire intellectuelle en France ? Le domaine à aborder est évidemment beaucoup trop vaste pour être traité dans un seul ouvrage. Nous allons donc balayer successivement quelques jalons d’une histoire commune, évoquer le phénomène des deux langues, le Vietnamien et le français et de l’éducation française au Vietnam, aborder le phénomène complexe de la littérature vietnamienne et de ses rapports à la France, éclairer d’un point de vue transnational l’histoire religieuse du Vietnam, pour aboutir à une analyse des hybridations artistiques dans l’histoire culturelle du Vietnam.
Les thématiques abordées dans ce volume convergent avec un projet de portail franco-vietnamien développé par la BNF.

Perspectives

Une rencontre internationale est prévue en octobre 2022 à l’Institut d’études avancées de Paris sur le rôle du Vietnam dans l’histoire de l’anthropologie en France.

La rencontre de l’IEA est destinée à renforcer la coopération entre l’ENS de Paris et de Hanoi sur les objets et méthodes des sciences humaines envisagés dans la perspective des transferts culturels. L’accent sera mis sur la part vietnamienne d’une histoire des sciences humaines et sociales en France. On insistera sur le rôle joué par la référence au Vietnam dans le développement en France de l’anthropologie (Condominas), de la géographie (Pierre Gourou, Charles Robequain), de l’orientalisme et de la linguistique (Léopold Cadière). On ne négligera pas non plus la place occupée par le Vietnam dans l’histoire littéraire française soit comme objet soit comme acteur, de l’historiographie et de l’histoire de l’art. Les échanges culturels ont joué un rôle important dans le maintien et le développement des relations entre les deux pays. Ainsi le colloque vise à présenter des recherches en sciences humaines et sociales de spécialistes Vietnamiens et Français reflétant ces échanges entre France et Vietnam au cours de l’histoire. Il constituera une nouvelle étape dans l’exploration d’une mémoire vietnamienne de la France.